CHF 10 - 82
Dans Vienne occupée par les nazis, Le docteur Freud, vieux et déjà bien malade, ne peut se résoudre à quitter
sa ville natale. Tandis que sa fille Anna est arrêtée, il reçoit la visite d’un inconnu bavard et volubile, qui prétend
être Dieu. Il s’agit certainement du déséquilibré échappé de l’asile et qu’on recherche ! Mais Freud apprend qu’il
a été retrouvé. Alors… qui est ce visiteur ?
Philosophie et suspense
Entre le vieil homme de science, qui toute sa vie a tenté
de prouver que l’existence de Dieu n’était que le produit des angoisses de l’homme, et cet inconnu manipulateur qui se prétend Dieu et fait preuve d’un humour ravageur,
le dialogue est apparemment impossible. Et pourtant !
Une discussion brillante va s’engager, qui va brasser à la fois les thèmes du savant et ceux de la métaphysique. Car comment croire encore en Dieu dans un monde envahi, aujourd’hui comme hier, par les horreurs de toutes sortes ? Comment réfléchir au bien et au mal, à la liberté humaine, à l’injustice ? Dieu et Freud : lequel serait le plus responsable du chaos dans lequel l’Homme se débat ? Dieu qui par amour a accordé une folle liberté aux hommes ou Freud qui par lucidité essaie de les convaincre d'athéisme ?
Fiction-réflexion, le texte d’Eric-Emmanuel Schmitt (agrégé et docteur en philosophie avant d’être auteur dramatique), repose sur une connaissance approfondie
de Freud, de l’histoire et de la philosophie, mais cet assaut passionnant d’intelligences ne se limite pas à un duel verbal : il est ponctué de suspense, car Freud a beau être une célébrité reconnue sur le plan international, sa fille
et lui risquent la déportation et l’occupant ne se prive pas de le lui faire savoir…
Philosophie et divertissement ?
« Qui est le visiteur ? Dieu ou un fou ? Un songe de Freud ? Une projection de son inconscient ? La pièce n'est-elle que la méditation intérieure d'un vieil homme ? Chacun le décidera avec sa liberté. Ma réponse, dit E.-E. Schmitt,
n'a pas plus de valeur que celle d'un autre. On la détectera néanmoins dans le texte si l'on est très attentif. La pièce prépare le terrain de la croyance et s'arrête au seuil. Franchir ce seuil relève de la foi, donc de la liberté. Et cela n'est donc pas partageable. Si je faisais autre chose qu'indiquer le seuil, Le Visiteur cesserait d'être une pièce philosophique, deviendrait une pièce à thèse – ce que j'exècre – et faillirait à sa vocation de donner à penser en même temps qu'à sentir.
La philosophie, c’est réfléchir sur la condition humaine. Le théâtre, c’est la montrer. Il s’agit d’une re-
présentation, alors que la philosophie questionne
et tente d’élucider les mystères. Me concernant, je sépare les genres, mais le philosophe nourrit le dramaturge. »
Et s’il est vrai que la conversation entre Freud et
Dieu permet d'aborder, l'air de rien, les sujets les plus fonda-
mentaux, les questions les plus graves, elle est conçue, comme un jeu subtil de chat et de souris et, entre larmes et rires, avec tant de simplicité, tant de drôlerie, tant d’habileté dramatique, que tout est clair, compréhensible, évident et jubilatoire.
Un Beau Parcours !
Le Visiteur est, après La Nuit de Valogne, la deuxième pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt âgé alors de 34 ans.
Créée discrètement en 1993, le 23 septembre (jour du décès de Sigmund Freud), elle est devenue en quelques mois une « pièce phénomène » récompensée par 3 Prix Molière et 8 nominations, traduite et jouée dans plus d’une dizaine de langues. Depuis, E.-E. Schmitt est devenu
un écrivain chevronné, auteur de nombreuses pièces et romans. Son Visiteur est considéré comme une œuvre majeure, mais elle n’a été pas été très souvent reprise sur les scènes françaises et romandes. Vingt-cinq ans
après sa venue à Berne, il ne fallait donc pas manquer cette reprise !